CAMÉRAS INTELLIGENTES DANS LA CIRCULATION c. DROIT À LA VIE PRIVÉE

Le fait qu'il soit interdit d'utiliser un smartphone au volant n'a rien de nouveau. Ce qui est nouveau, ce sont les règles plus strictes à cet égard. Depuis le 3 mars 2022, il est interdit d'utiliser, de tenir ou de manipuler tout « appareil électronique mobile avec écran » en conduisant. De plus, le gouvernement veut faire un usage plus poussé des caméras « intelligentes » qui jalonnent déjà aujourd'hui nos routes pour pénaliser l'utilisation d'appareils électroniques au volant. Cependant, la question se pose de savoir comment l'utilisation de ces caméras est liée au droit à la vie privée.  

Le changement de loi

Environ un Belge sur trois utiliserait régulièrement son smartphone au volant, ce qui cause une énorme distraction sur la route. Les chiffres de l'Institut belge de la sécurité routière (BIVV) montrent que cela entraîne au moins 30 morts sur les routes et 2 500 blessés par an.[1] Le législateur a donc choisi d'élargir considérablement le champ d'application du code de la route.

Alors qu'auparavant le fait de tenir un "téléphone portable" à la main en conduisant constituait une infraction pénale, il est désormais interdit d'utiliser, de tenir ou de manipuler tout appareil électronique mobile doté d'un écran (par exemple, une liseuse ou une tablette), sauf s'il est dans un support prévu à cet effet (article 8.4 Code de la route).

De plus, les infractions seront punies plus sévèrement, car une infraction à l'article 8.4 du code de la route constituera désormais une contravention du troisième degré – au lieu du deuxième degré. On peut encourir les peines suivantes :

  • un encaissement immédiat de 174 euros ;
  • en cas de citation à comparaître, on peut être condamné à une amende de 240 à 4 000 euros (déjà multipliée par la surtaxe) ;
  • une expiration du droit d'envoi pour une durée de 8 jours à 5 ans.

Caméras intelligentes

Pour détecter les infractions au code de la route, le gouvernement veut utiliser des caméras intelligentes (ANPR) qui sont déjà implantées le long de nos routes. Ce sont des caméras extrêmement intelligentes qui photographient les plaques d'immatriculation et les comparent automatiquement avec les plaques d'immatriculation des fichiers de police.

L'utilisation des caméras ANPR est réglementée par la loi du 21 mars 2007 (la loi sur les caméras) et le règlement européen sur la protection des données (AVG). Afin de limiter le moins possible le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles des citoyens, les caméras ANPR ne peuvent être utilisées que pour reconnaître les plaques d'immatriculation et sanctionner les infractions au code de la route. En outre, le traitement des données doit être effectué conformément à la législation sur la protection des données personnelles. Aujourd'hui, conformément à la loi sur les caméras, les caméras intelligentes ne sont autorisées qu'à reconnaître les plaques d'immatriculation, mais l'intention est que les caméras prennent une photo à travers le pare-brise, permettant au système de détecter si un conducteur tient un téléphone. Les caméras pourraient déterminer qui se trouve dans le véhicule et quelles actions sont entreprises avec les appareils électroniques. Elle peut donc aller bien au-delà de la simple reconnaissance des plaques d'immatriculation, mais le cadre juridique de celle-ci n'est pas encore défini.

Sécurité ou confidentialité ?

Bien que l'objectif principal des caméras ANPR soit de photographier et de reconnaître les plaques d'immatriculation afin de détecter les infractions au code de la route, il pourrait bien être possible à long terme qu'elles puissent reconnaître les visages et être utilisées efficacement à cette fin. On pourrait aller plus loin : les caméras intelligentes pourraient même être utilisées pour traquer les auteurs de délits ou de crimes (et pas seulement pour les infractions routières).

La question se pose de savoir comment l'utilisation des caméras ANPR avec reconnaissance faciale est liée au droit à la vie privée et si nous souhaitons en masse renoncer à ces droits fondamentaux de manière aussi radicale pour notre propre sécurité et celle des autres.

Les caméras ANPR créent le sentiment que nous sommes constamment surveillés dès que nous entrons dans les rues, alors qu'il ne faut être observé que dès qu'il y a un soupçon raisonnable que l'on commet ou est en train de commettre une infraction pénale.

Une telle technologie de sécurité a donc un impact significatif sur notre droit à la vie privée tel qu'il est inscrit dans l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) qui stipule ce qui suit :

"Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Aucune ingérence d'une autorité publique n'est autorisée dans l'exercice de ce droit, sauf dans la mesure prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique dans l'intérêt de la sécurité du pays, de la sécurité publique ou du bien-être économique du pays, pour le prévention du désordre et de la criminalité, pour la protection de la santé ou de la morale ou pour la protection des droits et libertés d'autrui

Une atteinte à la vie privée doit donc toujours être nécessaire – conformément à l'article 8 CEDH – et prévue par la loi.

En outre, la vidéosurveillance doit être testée au regard des principes fondamentaux de subsidiarité et de proportionnalité. Selon le principe de subsidiarité, l'ingérence dans la vie privée n'est autorisée que s'il n'existe aucune autre mesure moins intrusive permettant d'atteindre le même objectif. Le principe de proportionnalité stipule que la mesure prise (c'est-à-dire la reconnaissance faciale via une caméra ANPR) doit être proportionnée au but poursuivi.

La surveillance par caméra qui ne respecte pas ces principes peut conduire à une société de surveillance et de répression, dans laquelle un principe fondamental du droit pénal, à savoir celui de la présomption d'innocence, est menacé. Cette présomption signifie que les citoyens dans les affaires pénales bénéficient du doute – et sont donc innocents – jusqu'à preuve du contraire. C'est le ministère public qui doit toujours assumer la charge de la preuve et à charge et à la décharge chercher des preuves. Ce principe juridique serait renversé sur la base d'une telle surveillance par caméra étendue à "tout le monde est coupable jusqu'à preuve du contraire".

Il n'y a cependant pas (encore) de raison de s'alarmer : afin de limiter au maximum le droit à la vie privée des citoyens, les caméras ne seront (pour l'instant) utilisées que pour la prévention, la constatation et la détection des infractions routières. Cette situation sera toutefois surveillée de près, car les caméras ANPR avec reconnaissance faciale - dans le but de prévenir, de constater et de retrouver les infractions routières - font en effet l'objet de propositions législatives.  



[1] https://www.vias.be/nl/onderzoek/onze-publicaties/vermoeidheid-en-afleiding-door-gsm-gebruik/